|
Lazare Ponticelli est le dernier ancien combattant
français connu de la Première Guerre mondiale.
Il naît le 07 décembre 1897 à Bettola, dans le Nord de l'Italie.
Sa famille est très pauvre et les parents ont bien du mal
à nourrir les sept enfants (deux filles et cinq garçons).
Le père Jean travaille sur les foires en servant d'intermédiaire
dans les transactions de bétail. La mère s'occupe des enfants
et exploite le petit lopin de terre familial. Les hivers sont
rudes, et il faut parfois se contenter d'une maigre soupe
aux herbes. Son frère aîné Pierre meurt de maladie en 1903,
faute de pouvoir payer un médecin. Peu après son père Jean,
surmené et affaibli par trop de privations, décède à son tour.
La famille ne peut rester sur place, sans ressources. Il faut
émigrer en France pour trouver du travail. Lazare reste seul
au village, car l'argent manque pour payer son billet de transport
; il est alors placé dans une famille que connaît sa
sœur aînée. Il y est berger et garde un troupeau de brebis
toute la journée. Il rêve de rejoindre sa famille maintenant
installée à Nogent-sur-Marne. Mais il lui faut de l'argent
pour payer le billet : pour cela Lazare vend sur le marché
des grives qu'il capture dans la campagne. Habile de ses mains
il se confectionne une paire de souliers en vue du grand départ.
En 1907, ses économies sont suffisantes pour tenter l'aventure
sur Paris ; il a juste neuf ans, est seul, et ne connaît aucun
mot de français !
Arrivé sur Paris, il est recueilli par un
couple d'hôteliers italiens, les Colombo dont l'hôtel est
situé juste en face de la Gare de Lyon. Il y reste durant
8 mois, aide à l'hôtel, et rend des services aux commerçants
du quartier. Il parle maintenant le français mais avec un
fort accent. En 1908, à l'âge de 10 ans, il quitte
les Colombo et rejoint Nogent-sur-Marne. Les premiers mois
sont difficiles : il couche dehors et vit de quelques services
rendus aux commerçants. Il parvient à se loger et, en 1911,
obtient enfin son permis de travail. Son premier emploi consiste
à livrer du charbon aux clients. En mars 1913, Lazare Ponticelli
lance avec un ami de son âge, Pierre Pécuri, une entreprise
de ramonage de cheminées. Les affaires démarrent bien, mais
l'arrivée de la guerre fait chuter le nombre de clients. Il
n'y a plus de travail, plus d'italiens (retournés au pays),
plus de ravitaillement, plus rien. Sans ressource, il s'engage
dans la Légion qui recrute en masse pour la guerre qui commence
(pas question pour Lazare de retourner en Italie où on y meurt
de faim, surtout dans les zones montagneuses de sa région
natale).
Nous
sommes au début de l'été 1914 et, Lazare Ponticelli, se présente
à la caserne du premier régiment de marche étranger, boulevard
Richard Lenoir à Paris (il refuse d'être incorporé dans l'Armée
de Garibaldi car il veut absolument combattre dans un régiment
appartenant à la France). Il renoue contact avec son frère
Céleste qui, lui aussi, souhaite s'engager dans la Légion.
Les deux frères sont mobilisés en même temps et rejoignent
Nîmes pour deux semaines d'instruction. Ils reçoivent quinze
jours de complément de formation militaire dans la région
d'Avignon. Ils sont alors envoyés au front, vers Soisson.
La bataille y fait rage. Son frère Céleste est blessé, à ses
côtés, au Chemin des Dames : c'est Lazare qui lui prodigue
les premiers soins. Les combats sont terribles et nombreux
sont les camarades qui tombent morts ou blessés. Certains,
encore en vie, restent coincés dans le no man's land entre
les deux lignes : les brancardiers ne veulent pas prendre
le risque d'aller les chercher. Une fois, peu après une attaque
en Argonne, Lazare n'en pouvant plus d'entendre les cries
d'un camarade agonisant entre les lignes, prend le risque
d'aller le chercher. Durant cette nuit, il sauve la vie de
deux soldats : un Allemand blessé, père de deux enfants, qu'il
parvient à ramener dans la tranchée allemande ; un soldat
français, blessé par un éclat d'obus à la jambe, père de quatre
enfants, qu'il tire jusqu'à la tranchée française.
Les conditions de vie au front sont dures : l'eau, la boue,
les rats… Lazare Ponticelli combat ainsi à Soisson (au Chemin
des Dames), en Argonne, à Verdun (Douaumont,…). Le fort de
Douaumont, tenu par des français, est encerclé par les Allemands.
Le bataillon de Lazare Ponticelli est envoyé à l'attaque,
avec pour objectif de le libérer. Les Allemands sont mis en
fuite. Les troupes françaises se trouvent un instant face
à face : ordre est donné au bataillon de Lazare de
cesser de tirer.
Lors
de l'entrée en guerre de l'Italie en mai 1915, Lazare Ponticelli
est encore à Verdun, dans les tranchées. La France le démobilise
et le met à disposition de son pays natal. Mais il refuse
de rejoindre l'Italie et Turin : il retourne à Paris. Durant
six semaines, avec son frère, ils vont travailler à monter
des cheminées et des réservoirs. Fin 1915, il doit rejoindre
l'Italie pour participer aux combats contre l'Empire d'Autriche-Hongrie.
Ce sont les gendarmes qui l'obligeront à quitter la France
et qui, par la force, l'amèneront à Turin. Il est incorporé
dans la 159ème Compagnie militaire du 3ème régiment de chasseurs
alpins italiens. Le temps de constituer le bataillon à Susa
(une ville des Alpes située au pied du Lac du Mont-Cenis),
il part combattre au Mont Pal Piccolo, dans le Tyrol (son
expérience de la guerre le dispense de la période de formation
militaire). Il participe à un épisode de fraternisation entre
soldats italiens et soldats austro-hongrois, à Pal Piccolo,
en pleine montagne. Durant plus de trois semaines les hommes
des deux camps ne se tirent plus dessus : ils échangent des
aliments et effectuent des rondes mixtes, sur la ligne de
front. La fraternisation s'étend. Les officiers autrichiens
et italiens se réunissent : sa compagnie passe en conseil
de guerre. Lazare Ponticelli et ses compagnons risquent le
peloton d'exécution. Mais ils sont réaffectés sur le Monte
Cucco (en Slovénie actuelle) face à une compagnie autrichienne
d'élite. Lors des attaques il doit faire face aux gaz et balles
adverses ; les morts italiens sont nombreux. Il parvient,
au bout d'une journée de tirs incessants avec sa mitrailleuse
FIAT, à conquérir une portion de tranchée ennemie : 250 Autrichiens
sont fait prisonniers ; Lazare est blessé au visage par un
éclat. La blessure est bien infectée. Le chirurgien doit intervenir
au plus vite. Ponticelli est opéré sans anesthésie : quatre
de ses camarades doivent le tenir. Après une période de convalescence
dans la région de Naples, il repart au combat au cours de
l'année 1918. Les Autrichiens reculent. Des troupes françaises
combattent maintenant aux côtés des Italiens. Un soir, des
Français sont attaqués par des soldats autrichiens. Lazare
les couvre avec sa mitrailleuse. Cette action lui vaut la
Médaille du Roi, la plus haute distinction de l'Armée italienne.
Il apprend la signature de l'Armistice lors d'une attaque
à Monte Grappa : Italiens et Autrichiens lèvent les bras,
ils sont fous de joie.
Après la guerre, il participe à des missions
de sécurité intérieure en Italie. Il est démobilisé en 1920
et retourne à Paris chez son frère Céleste. Avec leur troisième
frère Bonfils, ils sont employés au montage/ démontage de
cuves et de cheminées. En 1921, Lazare, Céleste et Bonfils
créent leur société " Ponticelli frères ", une société de
fumisterie. Ils installent leur atelier à Paris, rue Damesnes,
puis au 69 de l'Avenue d'Ivry, dans le 13ème arrondissement.
Les chantiers se succèdent : ravalement de cheminée d'usine,
montage et démontage de cheminée,… Lazare Ponticelli se marie
avec Clara, une française, au cours de l'été 1923. Ils auront
trois enfants. L'activité de la société se diversifie : montage
d'unité de stockage pétrolière, vérifications de chaudières,…
Lazare a en charge la direction de l'atelier de l'avenue d'Ivry.
La société prend de l'essor dans les années 30 avec l'obligation
de raffiner sur le territoire national : les contrats de construction
d'usines et de cheminées de raffinage se multiplient. En 1938,
Lazare Ponticelli a la douleur de perdre son jeune fils Jean.
En 1939, les trois frères obtiennent la nationalité française
par naturalisation. En mai 1940, Lazare et sa famille partent
en exode dans le sud de la France, à Berre : l'armée allemande
approchait en effet dangereusement de la capitale. Fin 42,
Lazare obtient un laissez-passer pour Paris. L'activité y
est fort réduite. Il est blessé sur un chantier par un madrier
qui le heurte à la tête. Il en garde la marque à l'arrière
du crâne. Il détourne vers Beaumont (France) des wagons d'obus
destinés à l'Allemagne. Lors de la libération de Paris il
aide les FFI en mettant à leur disposition les véhicules de
la société ; il aide également à blinder les
portes et confectionne des cocktails Molotov.
Après la guerre les commandes reprennent,
et il y a beaucoup de travail de reconstruction. La société
" Ponticelli frères " décroche des contrats avec Béghin, pour
monter des cuves de récupération de sucre. Avec l'aide financière
américaine, l'industrie pétrolière française se reconstruit.
Au début des années 50, le groupe Ponticelli voit le jour
avec la création de la société Pontic, spécialisée dans la
tuyauterie industrielle. Cette dernière décroche des contrats
d'installation de tuyauteries thermiques et pétrolières :
beaucoup d'unités de raffinage du pétrole voient le jour.
En 1955, les bureaux de "Ponticelli Frères"
sont transférés à Vitry-sur-Seine. Lazare Ponticelli s'occupe
maintenant de la gestion des matériels de l'entreprise ; il
prend sa retraite au début des années 1960.
La société " Ponticelli Frères " est aujourd'hui une des plus
importantes sociétés de levage et de tuyauterie industrielle
en France : elle emploie plus de 2000 salariés à
travers le territoire national.
A
110 ans, Lazare Ponticelli vivait chez sa fille, au Kremlin
Bicêtre. Il aimait à livrer son témoignage
aux personnes qui le visitaient :
- " Nous avons fait une guerre sans savoir pourquoi nous la
faisions. Pourquoi se tirer dessus alors qu'on ne se connaît
pas ? Il y avait des gens qui avaient des familles à
nourrir".
-
" Avant de passer à l'attaque, les camarades et moi on se
disait : si je meurs tu penseras à moi. C'est pour ça que,
depuis que la guerre est terminée, je vais tous les 11 Novembre
au monument aux morts ."
- " J'ai tout appris de quatre à sept ans et, ce que mon père
m'a dit, je ne l'ai jamais oublié : avec le courage on arrive
toujours à ses fins ; bien sûre on vit des mauvais moments,
mais aussi des bons."
Conscient d'être un des derniers témoins de cette époque,
il écrivit ses mémoires pour les futures générations dans
un ouvrage publié par la Ville du Kremlin Bicêtre (1).
Monsieur Ponticelli était chevalier de la Légion
d'honneur au titre d'ancien combattant de la guerre 14-18.
Il était également un des trois derniers vétérans
italiens de la Grande Guerre. Jusqu'en 2006 [lien]
et 2007 [lien] , il participa
aux cérémonies du 11 novembre.
[Article rédigé en décembre
2006 par Frédéric Mathieu,
mis à jour le 12 mars 2008]
(1) Ponticelli Frères, les premières années,
de Lazare Ponticelli, éd. Le Kremlin Bicêtre, 2005, 177 p.,10
€.
|
|