|
<< Onze novembre 2003, Paris, Arc de
Triomphe, Le Président de la République salue
chaleureusement Claude-Marie Boucaud, l'ultime Poilu de l'Ain
arrivé pour l'occasion de son village de Priay. Il
est et restera probablement à jamais le dernier Poilu
à avoir pris part aux cérémonies du 11
Novembre à Paris.
Qu'en est-il deux ans plus tard ? Les Poilus survivants ne
sont plus officiellement que six et on a peine à imaginer
qu'ils soient encore capables de se déplacer pour prendre
part, dans leur ville ou village, aux cérémonies
du 11 Novembre 2005. On sait que Jean G. ne souhaite pas participer
aux cérémonies en rapport avec les guerres passées.
Louis de Cazenave, sorti pacifiste de la guerre, ne sera pas
non plus présent aux cérémonies en son
village de B.... De même Maurice Floquet : "Les
commémorations du 11 Novembre ? Il n'y va pas et n'en
parle jamais, c'est une période effacée de sa
mémoire" raconte sa fille Jeaninne. Quant à
Léon Weil, il choisissait de reçevoir, hier
jeudi 10 Novembre, une classe d'un collège de Draveil.
"La guerre ne sert qu'à faire mourir les hommes
et enrichir les marchands de canons", leur déclaraient-il.
Même Ferdinand Gilson, le plus jeune et encore alerte
Poilu, est incertain car malade en début de semaine.
Quant à Lazare Ponticelli on ne sait pas.
-
Vendredi 11 Novembre 2005, 11h10', la ville de XXX attend
son indéfectible Poilu :
Cela fait maintenant trois quarts d'heure que la Place de
la Mairie se remplit petit à petit. Des militaires
aux tenues impeccables, arrivés les premiers, discutent
sur le perron de l'Hôtel de Ville. Anciens combattants
et simples citoyens échangent déjà leurs
impressions. Une dizaine de journalistes sont là :
une équipe de TF1 dépêchée sur
place enchaîne les interviews depuis une dizaine de
minutes. Le froid est vif, nous attendons.
Il est 11h10' quand Monsieur Lazare Ponticelli arrive enfin
par la droite de la Mairie. Il est seul, canne en main droite,
casquette vissée sur la tête. Rapidement les
journalistes se précipitent vers lui et l'interrogent
: <<J'ai tenu à venir parce que j'ai fait un
serment dans les tranchées. J'ai dit à mes camarades
: "celui qui vit viendra nous voir. Voilà, alors
je viens aux monuments aux morts, pour le respect de mes camarades.>>.
Les caméras de TF1 et de France3 fixent cet instant,
les photos pleuvent. Des responsables municipaux, militaires,
civils, des membres d'associations, des anonymes se présentent
à lui pour le saluer. On entoure Monsieur Ponticelli
pour le protéger des possibles bousculades, puis on
le conduit sur la Place des Combattants où doit se
tenir la cérémonie ; il s'assied sur une chaise
à quelques dizaines de mètres de la Marianne
et des drapeaux tricolores. Le défilé part de
la Mairie à 11h25' avec en tête les personnels
militaires, puis les officiels municipaux, les anciens combattants,
et le reste de la foule. Dix minutes plus tard, le cortège
arrive sur le lieu des cérémonies où
les attend Monsieur Ponticelli depuis déjà quelques
temps. On place les personnalités autours de lui :
un Général Chef de Corps d'Armée à
sa droite, le Maire à sa gauche.
Les discours et les hommages se succèdent, Monsieur
Ponticelli reste immobile, le regard fixe sur la Marianne
et sur les drapeaux tricolores. Il semble peu en proie au
froid pourtant si vif et piquant en cette mi-novembre.
Le silence se fait à la lecture, par de jeunes élèves
du collège local, de lettres de Poilus écrites
au front. On imagine l'émotion de Monsieur Ponticelli
dont on connaît l'engagement encore actuel dans les
écoles de sa ville. Le discours du Maire est presque
entièrement tourné vers le doyen de sa commune,
son amour de la France, les deux guerres de 14-18 qu'il fit
avec la France puis avec l'Italie, ses actes de bravoures
si courageux et tellement dangereux. L'émotion est
au plus haut quand, aidé du Maire et d'un responsable
d'association, Monsieur Ponticelli dépose une rose
rouge, préalablement offerte par une jeune collégienne,
sur la plaque rendant hommage aux victimes de toutes les guerres.
La sonnerie aux morts fige l'assistance, la Marseillaise est
simple et belle. La cérémonie anniversaire de
l'Armistice peut maintenant s'achever ; c'était la
87ème à laquelle participait Lazare Ponticelli
!
La foule se dirige maintenant vers la Mairie où les
attend un vin d'honneur. Après quelques interviews
pour les télévisions, chauffeur et voiture du
Maire sont proposés à Monsieur Ponticelli afin
de rejoindre plus aisément la Mairie. Encore quelques
photos, un autographe peu évident en raison d'un stylo
bille récalcitrant, et la voiture peut enfin conduire
Lazare au pied des escaliers de la Mairie. Il est alors porté,
escaliers obliges, jusqu'en salle de réception municipale
située au premier étage. Là, on remet
une distinction de la Commune au Général Chef
de Corps d'Armée. Le haut gradé n'oublie pas
en fin de discours de saluer notre vaillant Poilu qui, assis
au premier rang, ne perd rien de l'évènement.
A la surprise générale, Monsieur
Ponticelli manifeste alors le désir de prendre la parole.
On lui tend un micro qu'il s'empresse de saisir et, d'un souffle
de voix parfaitement audible, remercie l'assemblée
de sa présence. Puis il présente le livre autobiographique
qu'il vient d'écrire en collaboration avec sa ville.
Monsieur Ponticelli est un homme de parole car il en avait
fait la promesse un an plus tôt.
Il est 12h10' quand débute le vin d'honneur. Monsieur
Ponticelli, verre de champagne en main droite et livre en
main gauche, salue, discute, pose avec patience et gentillesse
pour les photographes. Le silence se fait lorsqu'il répond
aux questions de la journaliste de TF1 et accepte de dire
quelques mots sur sa guerre : <<j'en ai sauvé
un qui avait une jambe en moins et qui avait quatre enfants.
Il a eu le courage de se redresser sur la civière,
de m'embrasser et de me dire "Merci pour mes quatre enfants">>.
L'oeil est soudain humide, la fatigue présente ; après
tant d'agitations autours de lui il est maintenant temps de
rentrer. On prévient Monsieur le Maire du départ
du doyen de sa Commune. Petit moment d'incertitude au moment
de le raccompagner en voiture car personne autours ne sait
où il habite, et comme il est venu seul.........
- Vendredi 11 Novembre 2005, fin d'après-midi,
village des C..., Ferdinand Gilson se prépare à
sa 87ème cérémonie anniversaire d'Armistice
:
La circulation est de plus en plus dense à mesure que
nous approchons du village des C.... Arrivés au centre
du village vers 16h15, une barrière métallique
empêche d'aller plus en avant avec la voiture : il faut
faire demi-tour et se garer en bordure des champs. Quelques
minutes de marche sont nécessaires pour rejoindre le
monument aux morts, face à l'Eglise. Là, une
foule de 400 personnes s'agite : des spectateurs cherchent
une meilleure place pour le défilé bientôt
à venir ; des officiels viennent et vont ; un peloton
de militaires, déjà en place, attend le début
des cérémonies. Nous remontons l'artère
principale du village d'une centaine de mètres et rejoignons
le gros de la foule, massée autours d'un antique taxi
de la Marne repeint en vert. Au
volant, un homme moustachu d'une cinquantaine d'années
et coiffé d'une casquette de chauffeur (un voisin,
ami des Gilson) répond aux questions d'un journaliste.
Assis à sa gauche : Ferdinand Gilson, 107 ans, unique
Poilu à moins de 200 kilomètres à la
ronde fait sereinement face à un groupe de 20 photographes
et caméramans déchaînés. Le vieil
homme est tranquille, légèrement appuyé
sur sa canne, la Légion d'honneur solidement fixée
sur son ciré noir. A sa gauche, un homme d'une quarantaine
d'années en tenue de soldat bleu horizon d'époque,
veille sur lui ('il s'agit d'un ami des époux Gilson,
à l'origine de la petite exposition clôturant
cette cérémonie 2005).
Le défilé démarre à 16h30' précise
: en tête, la fanfare municipale d'Artenay avec ses
tambours et trompettes ; puis suit Ferdinand Gilson, tranquillement
installé dans son taxi vert de la Marne (il salue régulièrement
la foule d'un vif lever de casquette) ; vient ensuite un détachement
de l'école de santé militaire de Lyon ; les
associations d'anciens combattants ferment la marche avec
leurs drapeaux tricolores. Le défilé dure environ
une dizaine de minutes ; le trajet, d'une longueur de 200
mètres, prend fin au monument aux morts, en face de
l'Eglise. Tout le monde se masse alors autours de la place.
Il est 16h45' quand le Maire du village entame son discours.
Monsieur Gilson se tient debout devant lui (soutenu à
sa droite par une voisine et amie, à sa gauche par
son fils). Le discours lui est presque entièrement
adressé, lui le presque dernier Poilu de France. Au
moment de l'appel des morts, Monsieur Gilson avec l'aide du
Maire, se
rapproche du monument aux morts : le nom des 46 enfants du
village, morts au combat, sont énoncés un à
un. La casquette de Ferdinand est abaissée ; son regard,
tourné vers l'orateur, est fixe et grave. Il est 16h55'
quand retentit la Marseillaise. Les "portez" et
"présentez armes" ponctuant les discours
sont effectués par les élèves de l'école
militaire de Lyon et par un peloton de troupes du régiment
de cuirassiers d'Olivet.
La cérémonie terminée, monsieur Gilson
est une nouvelle fois invité à prendre place
dans le taxi. Affluent à nouveau autours de lui journalistes
et photographes ; c'est la bousculade pour le filmer ou le
prendre en photo (pas moyen d'approcher à moins de
10 mètres).
Le défilé repart enfin en direction de la salle
de réception municipale, avec au programme le vin d'honneur.
En tête, le taxi et son illustre passager, ouvrent la
voie. A la vitesse de 3-4 km/h, le lent cortège remonte
ainsi l'artère sud-ouest du village. De part et d'autres,
curieux et journalistes se portent en avant afin de prendre
des clichés du stoïque Poilu.
Le défilé s'achève dans la cours du bâtiment
de réception municipale. Là, on se place selon
sa qualité : municipaux devant, militaires sur les
côtés, anciens combattants juste en arrière,...
La cours ne pouvant contenir l'ensemble des personnes présentes,
une partie de la foule doit se masser tout autours : les murets
de pierre ceinturant la place sont pris d'assaut ; les poubelles
et autres promontoires sont utilisés pour se hisser
et mieux voir la cérémonie bientôt à
venir ; les fenêtres du corps de bâtiment municipal
sont "bondées" d'observateurs. Le
couple Gilson est bien évidemment installé au
centre, sur deux chaises ; on couvre Ferdinand d'une épaisse
couverture de laine à carreaux car le froid est maintenant
vif.
Il est 17h10' quand débutent à nouveau les discours.
Nous retenons celui de leur voisine, plein de tendresses et
d'affections pour Suzanne et Ferdinand. Le discours de Monsieur
le Préfet est plus traditionnel et souligne le devoir
accompli par Monsieur Gilson lors de la Première Guerre.
Un instant assoupi, Ferdinand Gilson ponctue le discours préfectoral
d'un vigoureux et inatendu "Vive la France !". Puis
la fanfare d'Artenay cloture les cérémonies
en jouant "La Madelon", un des morceaux préférés
de Ferdinand. Il est 17h30', et il fait maintenant presque
nuit. Le traditionnel vin d'honneur attend maintenant toutes
et tous.
Un à un les participants pénètrent dans
la salle municipale toute proche. Au centre sont installées
les tables où l'on sert champagne et vin blanc. Au
fond, une intéressante exposition présente différents
documents et objets en rapport avec la Guerre 14-18 : des
uniformes de Poilus (de la tenue garance du début de
guerre, à celle bleu horizon), des diplômes,
des cartes postales, des photos,...
Ferdinand et Suzanne Gilson sont parmi les derniers à
pénétrer dans la salle ; ils sont installés
au fond, sur deux sièges ; ils reçoivent un
à un les hommages des ami(e)s et visiteurs. Pour l'occasion,
la photo grandeur réelle de Ferdinand en tenue de soldat,
trône derrière lui. L'ambiance est festive. Les
gens discutent, font connaissance. Les journalistes effectuent
quelques interviews et glanent de précieuses infos
pour leurs articles. Des soldats vont même discrètement
saluer le célèbre Poilu. Il est 18 heures passées
quand Ferdinand Gilson quitte la salle, aidé de deux
jeunes élèves de l'école de santé
militaire de Lyon.
Quelle belle cérémonie ce fut ! Nous ne pouvons
que remercier celles et ceux qui ont participés de
près ou de loin à son organisation : la municipalité,
tous les bénévoles. Et puis, bien évidemment,
grand merci à Monsieur Gilson qui montra patience et
endurance du haut de ses 107 ans.
- Cérémonies de St-Omer, France, avec
Henry Allingham
Un autre vétéran de la Grande Guerre participait
aux cérémonies du 11 Novembre sur le sol français.
Le vétéran anglais Henry Allingham s'était
en effet déplacé au Mémorial britannique
de Saint-Omer. Henry Allingham, 109 ans, est le dernier survivant
de la Bataille de Jutland et le dernier membre fondateur encore
en vie de la Royale Air Force. Il était accompagné
pour l'occasion du vice Maréchal de l'Air Peter Dye,
et du député Commandant en chef de la RAF.
Peu après, vers 11 heures, Monsieur Allingham participait
aux cérémonies officielles organisées
par la ville de Saint-Omer, autours de son monument aux morts.
Peu après, il alluma en l'Eglise de Saint-Omer une
bougie en mémoire de ses camarades disparus.
|
|